Le texte figurant ci-dessous est extrait de cet ouvrage de référence, paru aux éditions Serpenoise, qui retrace ligne par ligne l'histoire du chemin de fer en Lorraine...


TOUL - BARISEY - COLOMBEY - FRENELLE-LA-GRANDE

 

Lorsque Nancy et Épinal étudient une liaison Nord-Sud en 1853, les habitants de Neufchâteau préconisent une liaison concurrente passant par Toul83. La déclaration d'utilité publique de 1861, pour la ligne devant desservir Neufchâteau, laisse une latitude importante dans la définition de la jonction : «de Chaumont à la ligne de Paris à Strasbourg en un point à déterminer ultérieurement, de Toul à Commercy ». Le tracé par la vallée de la Meuse l'emporte puisqu'il doit se poursuivre au-delà de Lérouville, jusqu'à Sedan, et créer ainsi une « ligne droite » de Anvers à Marseille. La ligne de Toul à Frenelle se réalisera en deux tranches: de Toul à Colombey et Favières, puis de Favières à Frenelle-la-Grande. L'axe Nord-Sud, tant convoité par Épinal, utilisera la première partie de cette voie après la construction de la ligne Barisey - Neufchâteau.

Toul - Colombey

M. Nicolas Parent-Pécher, banquier à Tournai, obtient du conseil général de la Meurthe-et-Moselle, par convention du 7 décembre 1872, la concession d'un chemin de fer d'intérêt local de Toul à Colombey-les-Belles. L'article 7 de cette convention prévoit la possibilité d'un prolongement de cette ligne dans la direction de Mirecourt. Ce projet fait naître des espérances légitimes pour les habitants des cantons desservis. La ligne est déclarée d'utilité publique par le décret du 8 août 1873 et officiellement concédée pour 95 ans à M. Parent-Pécher « avec droit de préférence réservé au concessionnaire pour le prolongement du chemin vers Mirecourt ». Aux mêmes dates et aux mêmes conditions, le banquier belge devient concessionnaire de la ligne de Lunéville à Gerbéviller. Hélas, la même adversité va unir ces deux lignes par une gestion déplorable aggravée par une période « d'indécisions » administratives.

Mauvaise impression

Le 15 juin 1874, l'ingénieur du contrôle constate que les plans généraux des gares, stations et haltes ainsi que les états parcellaires des terrains à acquérir ne sont pas produits. L'ingénieur Brassine, représentant à Toul des intérêts de M. Parent-Pécher, tente de dissiper la mauvaise impression de l'ingénieur du contrôle qui a rédigé ce rapport, «musons aucun doute par sa louable et légitime impatience de voir les intérêts du département satisfaits, circonstance qui a pu porter à une appréciation aussi sévère »84. Mais il y a lieu de s'entendre avec la Compagnie de l'Est au sujet du raccordement de Toul et, « en raison du peu d'empressement de cette Compagnie»... il assure que sa compagnie « donnera à ses travaux l'impulsion la plus régulière et la plus prompte». Cette impulsion est promise depuis longtemps et l'ingénieur des ponts et chaussées a le regret de constater que les faits ne correspondent guère aux promesses. À Barisey-la-Côte, trois projets sont successivement soumis, pour rapprocher chaque fois un peu plus la gare des habitations. Aussi, l'ingénieur préconise-t-il d'en finir avec les atermoiements successifs de cette compagnie.

Malgré ces fâcheuses prémices, le conseil général se flatte, en octobre 1874, que cette ligne (avec celle de Gerbéviller) soit la première œuvre du département « après les événements calamiteux de la guerre. La ligne de Toul à Colombey serait destinée à se prolonger jusqu'à la ligne de Vézelise à Mirecourt qu'elle pourrait rejoindre à Frenelle-la-Grande. Ce prolongement serait motivé non seulement par l'établissement d'une relation directe entre Toul et Mirecourt, mais encore par la mise en valeur des gîtes de minerais de fer oolithique, qui règnent le long des côtes de la Saulxerotte, Favières, Batigny, Vandeléville, Grimonviller, Pulgney... »85

Le 29 juillet 1875, la Compagnie Parent-Pécher sollicite du conseil général la concession des 7 515 m de la ligne de Colombey à Mirecourt. Eu égard à l'insuffisance des ressources budgétaires du département, et au peu d'empressement dans l'exécution des travaux des deux chemins de fer de Colombey et de Gerbéviller, la concession n'est pas accordée. Le rapport de l'ingénieur d'arrondissement du 24 juin 1878 signale que les travaux et ouvrages d'art du chemin de fer de Toul à Colombey ne sont pas encore commencés sur le territoire d'Écrouves, en raison de la question toujours pendante du mode de raccordement avec la ligne de Paris à Strasbourg. Les terrassements dégrossis sur une longueur de quinze kilomètres ne sont achevés en aucun point. II en est de même pour les ouvrages d'art. Sitôt commencés, les travaux de la gare de Colombey sont abandonnés au profit d'un autre chantier. Cinq ans après la déclaration d'utilité publique, la compagnie prend enfin possession des terrains, mais sans avis préalable et avant toute entente sur le prix avec les propriétaires. Le maire d'Écrouves fait part de ses craintes au préfet en décembre 1878. Celui-ci ne peut que regretter de n'avoir pu prévenir la municipalité, puisque lui-même n'a toujours rien reçu du concessionnaire. Le « fâcheux procédé » consistant à ouvrir des chantiers, sans prévenir ni l'administration ni les intéressés, donne la mesure des aptitudes de l'entreprise. L'impéritie de M. Parent-Pécher déclenche le processus de déchéance du concessionnaire qui n'a pas réalisé les travaux dans les temps prescrits86. Tout se précipite. Le département de la Meurthe-et-Moselle reprend la concession de la ligne le 8 juin 1880, la cède gratuitement à l'État qui la classe dans le réseau d'intérêt général par la loi du 13 janvier 1881. Une convention passée le 28 octobre entre le ministre des Travaux publics et la Compagnie de l'Est confie à cette dernière l'exploitation provisoire des 23 km de la ligne de Toul à Favières.

Mise en service urgente... mais prudente

Le ministre de la Guerre demande avec insistance l'ouverture rapide de cette ligne. Les travaux, repris par l'État en 1880, permettent de la mettre en service le 30 décembre 1881, de Toul jusqu'à Favières, sans qu'elle soit entièrement terminée. La Compagnie de l'Est l'exploite, avec trois trains dans chaque sens et à marche prudente, pendant que les travaux se poursuivent sur les ouvrages d'art, le long des terrassements qui s'éboulent facilement et sur la voie dont l'assiette laisse à désirer parce qu'elle repose sur des terrains argileux ! Lorsque l'entreprise déclare avoir terminé ses travaux en 1882, ceux-ci présentent encore de nombreuses malfaçons. Mis en demeure de procéder aux réparations, l'entrepreneur envoie quelques ouvriers qui s'emploient de façon sommaire et incomplète. Les chefs de station se plaignent de cette invraisemblable situation, qui ne prend fin qu'en 1883 ! À peine ouverte, la ligne de Toul à Barisey doit être mise à double voie par une décision ministérielle du 10 mars 1882. Ce n'est que le 17 décembre 1886 qu'un décret déclare d'utilité publique l'acquisition des terrains nécessaires au doublement de la ligne... mais avec entrée en possession urgente ! « Cette ligne constitue la dernière section d'une grande voie stratégique qui doit relier le camp retranché de Toul avec Neufchâteau, Langres, Chalindrey par un ensemble de lignes à faible déclivité. Elle forme notamment le prolongement direct et immédiat de la ligne de Barisey à Neufchâteau, actuellement en cours d'exécution ». Les déclivités doivent être adoucies sur tout le parcours qui est donc à remanier presque entièrement ; ainsi les imperfections originelles disparaissent pour le plus grand bien de cette ligne au brillant avenir. La deuxième voie... enfin, la nouvelle voie de Toul à Barisey est mise en service le 1er juin 1889.

Barisey - Frenelle-la-Grande

En avril 1876, plusieurs communes adressent une pétition au conseil général des Vosges afin que le chemin de fer d'intérêt local de Toul à Colombey soit prolongé, non pas sur Frenelle-la-Grande, mais sur Châtenois, pour se relier à la ligne d'intérêt général de Neufchâteau à Épinal... peine perdue. Par délibération du 12 août 1879, la municipalité de Crépey vote 14 000 F et cède ses terrains, à condition que la ligne passe dans sa commune. Cette déviation allonge le parcours d'au moins 4,5 km et augmente de plus de 150 m la somme des hauteurs des rampes et pentes., L'ingénieur en chef écarte cette dépense supplémentaire.

La ligne de Colombey à Frenelle-la-Grande est déclarée d'utilité publique par la loi du 26 mars 1879, mais non concédée. La loi du 2 juillet autorise le ministre à entreprendre d'urgence les travaux d'infrastructure. La convention du 29 août et le décret du 1er septembre 1882 confient « provisoirement » l'exploitation de Favières à Frenelle-la-Grande à la Compagnie de l'Est. Ce n'est que par la loi du 20 novembre 1883, approuvant la convention du 11 juin, que la ligne de Toul à Frenelle-la-Grande par Favières est (avec bien d'autres) définitivement confiée à la Compagnie des chemins de fer de l'Est.

Réclamation futile

La commune de Courcelles refuse de verser la subvention de 1000 F que le conseil municipal avait promise le 14 août 1875, pour l'établissement du chemin de fer de Colombey à Frenelle. L'avant-projet prévoyait la halte à 500 m de la commune et une traversée de 1 000 m des terrains communaux. La longueur exacte du tracé est de 1 060 m et la distance de 600 m. Le conseil général juge la différence tellement faible qu'il rejette la demande de Courcelles.

Ligne imparfaite

La section de Favières à Frenelle-la-Grande est mise en service le 30 juin 1883, alors que, comme pour la première partie, les travaux ne sont pas entièrement terminés. Un rapport du 3 août de l'ingénieur des ponts et chaussées de Meurthe-et-Moselle signale que l'entreprise ne transporte qu'un faible volume de ballast parce qu'il n'y a pas assez de main-d’œuvre, que les traverses ne sont « bourrées » qu'imparfaitement et que les attaches ne sont pas serrées. Le profil de la ligne est difficile. Les trains doivent vaincre trois faîtes, dont les rampes atteignent 15 0/00. L'état de la voie et les travaux en cours ne permettent d'ouvrir la ligne qu'avec un seul train par jour dans chaque sens, jusqu'au 1er septembre 1883.

De quatre trains en 1912, il n'en reste qu'un en 1920 ! En 1935, deux « Michelines » (les vraies, celles qui roulent sur pneus « Michelin ») desservent cette relation qui s'éteint doucement. Elle est fermée au trafic voyageurs le 15 mai 1939. Le service marchandises cesse de Favières à Frenelle le 1er avril 1953. La ligne est déclassée le 12 novembre 1954, déposée et remise aux Domaines le 20 octobre 1957. À partir de Barisey-la-Côte, le début de la ligne est utilisé comme embranchement particulier de la Base aérienne de Nancy-Ochey. Le reste des voies jusqu'à Favières est neutralisé le 1er janvier 1990, et déclassé le 25 février 1993.

 

83. Voir à ce sujet, la ligne de Pagny-sur-Meuse à Neufchâteau.

84. Lettre du 13 juillet 1874, de M. Brassine à l'ingénieur des ponts et chaussées, A.D.M.M. 5 S 266.

84. A.D.M.M. 5 S 291.

84. à noter, le décès de M. Parent-Pécher, le 9 janvier 1880, en pleine procédure de déchéance.